Depuis plusieurs semaines, la péninsule du Sinaï cristallise les inquiétudes diplomatiques et militaires au Proche-Orient. L’accusation portée par Israël contre l’Égypte quant au renforcement de la présence militaire dans la région révèle un climat de profond soupçon sur la réalité des rapports de force, dans un contexte où la guerre à Gaza rebat les cartes des alliances et des enjeux sécuritaires. La demande explicite du Premier ministre Benjamin Netanyahou à l’administration Trump, sollicitant une pression accrue sur le Caire, témoigne de la sévérité perçue de ces évolutions, au point où les autorités israéliennes dénoncent de possibles violations du traité de paix signé en 1979 et qui avait jusqu’ici limité strictement les capacités offensives égyptiennes dans nombres de zones sensibles.
Pour Israël, l’installation de nouvelles infrastructures militaires, telles que des pistes d’aviation allongées et des complexes souterrains pouvant abriter des armements sophistiqués, dépasse le cadre toléré par les accords internationaux. Ces éléments sont interprétés comme une volonté manifeste de modernisation et de fortification militaire que Tel Aviv peine à concevoir comme une simple réponse défensive aux troubles du Sinaï, zone historiquement agitée par le terrorisme et le trafic. Les réponses égyptiennes défendent au contraire une logique de respect scrupuleux des traités et une nécessité absolue de protéger les frontières nationales dans l’environnement instable créé par le conflit à Gaza et l’hypothèse, jugée intolérable par le Caire, d’un déplacement massif de Palestiniens vers le désert du Sinaï.
Dans le jeu de pressions régionales, Israël redoute que la transformation de la zone transforme l’actuelle dissymétrie militaire, tout en cherchant à préserver la surveillance multinationale instaurée depuis le traité de paix. Les négociations, menées tant sur le plan diplomatique que par des canaux militaires, mettent en exergue le malaise croissant : jusqu’à présent, aucune explication jugée satisfaisante par Israël n’a été donnée par l’Égypte, ce qui attise les rumeurs de velléités de rupture stratégique sur fond de guerre à Gaza. De son côté, Le Caire réaffirme qu’aucun traité n’a été violé, refusant en bloc tout projet de déportation ou de transfert de populations palestiniennes sur son territoire, et appuie sa position par l’appel à un État palestinien indépendant sur les frontières de 1967.
En toile de fond, ce bras de fer révèle la redéfinition des relations internationales et la réalité des calculs géopolitiques d’un Moyen-Orient qui a vu, ces dernières années, ses équilibres s’effriter au profit d’une logique sécuritaire exacerbée. L’Égypte, tout en gardant le canal diplomatique ouvert, semble déterminée à faire valoir ses intérêts vitaux et refuse de céder aux pressions. Dans ce climat de défiance, le Sinaï devient le théâtre d’un affrontement symbolique et stratégique entre la recherche d’une stabilité régionale et la tentation, côté israélien, de recomposer les frontières du possible dans la gestion du dossier palestinien. La suite des événements dépendra autant de la capacité des deux États à préserver leur paix fragile que de la complexité d’un dossier où chaque geste militaire accroit le risque d’un basculement régional, avec des conséquences qui pourraient dépasser le cadre strictement bilatéral.