Dans son atelier parisien, Joann Sfar pose son crayon et réfléchit. L'auteur du "Chat du rabbin", dont le treizième tome vient de paraître chez Dargaud, évoque sa relation complexe avec la spiritualité et l'identité juive, plus que jamais questionnée depuis les attaques du Hamas en Israël.
"Avant le 7 octobre, le judaïsme m'occupait dix minutes par jour", confie l'artiste, citoyen français avant tout, qui revendique une multiplicité d'identités. Cette pluralité, source de richesse en temps de paix, devient douloureuse en période de conflit. "Je ne suis pas un homme d'identité exclusive", explique-t-il, "je vis pleinement toutes les identités qui me composent et je revendique d'avoir des incohérences."
Dans son nouvel album "L'Arbre de la Connaissance", Sfar explore les questionnements bibliques à travers son chat philosophe. "J'ai voulu suivre le conseil de Levinas sur la méditation talmudique", précise-t-il. Le mythe d'Adam et Ève y est revisité avec une liberté caractéristique : "Qu'est-ce que c'est que cette tradition où la connaissance est un péché ?"
Élevé dans un judaïsme aux traditions multiples - ashkénaze et séfarade - Sfar cultive un rapport décomplexé à la spiritualité. Il fréquente aussi bien les synagogues que les églises, allume des cierges avec son jeune fils. "Je suis un drôle de laïc", admet-il. "J'ai la laïcité chevillée au cœur, mais je trouve très important qu'il y ait des temples au cœur de la cité."
Face à la montée de l'antisémitisme, l'artiste refuse la peur mais reconnaît sa colère. "Être un Français juif quand on est une figure publique depuis le 7 octobre, c'est recevoir quotidiennement des injures", constate-t-il. Pourtant, il reste attaché à la joie plutôt qu'à l'espérance, fidèle à l'enseignement du philosophe Clément Rosset sur "le pessimisme joyeux".
via un article de Jérôme Cordelier pour Le Point, octobre 2025