SpyX : comment le Maroc transforme une munition rôdeuse israélienne en levier de puissance industrielle et stratégique

Written on 22 novembre 2025
Le Mag


Le lancement industriel de la munition rôdeuse SpyX au Maroc ne se limite pas à un achat d’armement. Il marque une bascule stratégique, où la technologie devient un instrument de puissance, de souveraineté et d’influence régionale. Plusieurs analyses sur la production locale de SpyX à Benslimane le soulignent. En quelques années, Rabat est passé d’un profil d’importateur de drones à celui de futur producteur intégré de systèmes de frappe de précision, avec l’ambition de structurer une filière nationale.

Au cœur de cette montée en gamme se trouve le transfert industriel mené par BlueBird Aero Systems, filiale d’Israel Aerospace Industries. BlueBird a accueilli des équipes marocaines pour une formation immersive mêlant théorie, pratique et atelier, comme décrit par l’industriel et la presse économique marocaine. L’objectif n’est pas seulement d’assembler un drone étranger au Maroc, mais de capitaliser sur ce programme pour internaliser des compétences critiques : intégration de capteurs, gestion des charges militaires, électronique embarquée, maintien en condition opérationnelle, logistique, et potentiellement, adaptation locale des sous-systèmes. Benslimane devient le pivot de cette stratégie, avec une usine moderne du continent pour la production de munitions rôdeuses SpyX, et un centre de formation continue pour les ingénieurs et techniciens marocains.

Les essais opérationnels dans le sud marocain montrent cette appropriation technologique. Les SpyX, tirés dans un environnement saharien exigeant, ont démontré une capacité de guidage électro‑optique précise contre des cibles blindées désaffectées, confirmant la maturité du système et la montée en compétence des équipes locales. Plusieurs médias marocains ont rapporté ces tests.

Cette expérimentation sert de laboratoire tactique pour adapter la doctrine d’emploi à la géographie marocaine. Elle concerne la surveillance frontalière à longue distance, la protection des axes vitaux, et la fourniture de feux de précision à la demande pour des unités terrestres dispersées sur de vastes étendues désertiques. Dans ce contexte, la munition rôdeuse devient un maillon clé entre renseignement, décision et frappe, réduisant les délais entre détection et neutralisation.

Le SpyX répond aux besoins tactiques marocains. C’est un système compact d’environ 10 kg, équipé d’une charge militaire d’environ 2,5 kg, capable de voler jusqu’à 1 h 30 à 50 km de portée, avec une vitesse d’attaque atteignant 250 km/h et une précision inférieure au mètre grâce à un guidage électro‑optique avancé et à des fonctions de suivi autonome, selon la fiche officielle de BlueBird et les présentations lors des salons internationaux. Sa charge utile jour/nuit, associant caméra diurne, imagerie thermique et capteurs additionnels, permet d’identifier, suivre et frapper des cibles fixes ou mobiles — y compris camouflées — tout en minimisant les dommages collatéraux, un point mis en avant par le constructeur pour répondre aux exigences des forces armées modernes. Le concept modulaire, avec insertion de la tête militaire et du capteur juste avant le tir, renforce la sécurité logistique, optimise le stockage en dépôts et facilite la projection du système au plus près des unités de première ligne.

Le programme SpyX s’inscrit dans une trajectoire de coopération avec BlueBird, marquée par l’acquisition de drones WanderB et ThunderB. Une partie de la production est prévue localement selon la presse spécialisée et des contrats signés depuis 2021. À cette base israélienne s’ajoute un écosystème de partenaires internationaux : drones MALE Hermes 450/900, plateformes Wing Loong chinoises, systèmes Baykar turcs, et autres vecteurs de frappe et de renseignement. Ces derniers composent un « système de systèmes » autour des Forces armées royales. Le SpyX apporte une munition rôdeuse tactique, organique aux unités au sol, capable d’offrir une frappe immédiate, précise et peu coûteuse par rapport à l’emploi d’avions de combat ou de drones MALE sur des cibles de valeur moyenne.

L’ambition dépasse les besoins nationaux. En installant une capacité d’assemblage et de soutien sur son territoire, le Maroc se positionne comme futur hub régional pour ces systèmes, avec une perspective d’exportation vers d’autres armées africaines ou partenaires régionaux. Plusieurs analyses sur le positionnement du royaume dans la chaîne de valeur des drones et munitions rôdeuses évoquent cela. Pour BlueBird, ce choix permet de s’ancrer durablement sur le continent avec un partenaire stable et un environnement industriel et logistique viable. Pour Rabat, c’est un levier d’influence supplémentaire, où l’export de technologies de défense s’ajoute à l’arsenal diplomatique. Cette logique s’inscrit dans la continuité de la normalisation maroco-israélienne entamée en 2020, dont la coopération en défense, cybersécurité et technologies duales constitue l’un des socles.

Le cas SpyX illustre la volonté marocaine de passer d’une dépendance totale aux fournisseurs étrangers à une souveraineté graduelle sur la chaîne de valeur des systèmes d’armes. Cette souveraineté inclut la maîtrise de l’assemblage, contrôle du cycle de vie, sécurisation des approvisionnements critiques, et à terme, capacité à adapter, hybrider, ou développer des solutions nationales à partir de briques technologiques importées.

Dans un contexte régional de compétition technologique, de prolifération des drones armés et de volatilité des chaînes logistiques, ce mouvement vers un industriel de défense plus autonome est une nécessité opérationnelle et un choix stratégique. Le SpyX devient plus qu’une munition rôdeuse : un catalyseur de souveraineté, un signal aux partenaires et compétiteurs, et un jalon dans l’ambitieuse construction d’une industrie de défense marocaine, tournée vers l’innovation et l’exportation.